Paru dans les DNA du 18 mars 2007
Par Claude KEIFLIN
[Guillaume Baumgartner] Tout jeune, il s'est entiché d'une poulette bien dodue et a entrepris d'épargner à sa race un «gallinacide» annoncé. Sans lui, la «poule d'Alsace » était condamnée à disparaitre à court terme de la surface de la terre. Ce qui eût été dommage pour un volatile dont le mâle porte avec tant de prestance l'habit noir et arbore aussi fièrement les couleurs de l'Alsace, avec ses oreillons blancs et sa crête frisée rouge vif. Il y a vingt ou trente ans, poules et coqs d'Alsace couraient encore en tout sens dans les cours en terre battue des fermes de la région. Lorsque ses parents ont emménagé dans l'ancienne ferme familiale de Wittenheim, Guillaume, âgé de dix ans, s'est mis à en élever.
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La poule d'Alsace, sélectionnée à la fin du XIX, siècle, pendant la période du Reichsland, a été «formatée avec une rigueur toute germanique. Sur le plan gustatif, elle a plus de caractère que la poule de Bresse, selon les plus grands chefs étoilés d'Alsace», dit Guillaume Baumgartner. Il organise chez eux des repas de dégustation avec des décideurs sur lesquels il compte pour l'aider à relancer la production. Le processus sera long. Il faudra commencer par collecter des poussins chez les derniers éleveurs et organiser la constitution d'une souche dans un lieu confiné et préservé de toute contamination, au centre de sélection de la volaille de Bresse, à Bechanne, dans l'Ain. Parmi les poussins de cinq mois seront choisis les «étalons reproducteurs».
«Le coq d'Alsace est très vigoureux. Un mâle peut facilement gérer sept à dix poules, assure Guillaume Baumgartner dans un grand éclat de rire. Les poules sont de bonnes pondeuses. Il suffit d'une quarantaine pour produire huit à dix mille beaux œufs bien blancs par an». Ils seront couvés aux «Couvoirs de l'Est» à Willgottheim. Au récent Salon de l'agriculture à Paris, où la poule d'Alsace a obtenu le Grand prix des races françaises, Guillaume s'est assuré du soutien du président du conseil régional, Adrien Zeller.
Paradoxe, pour sauver la poule d'Alsace de la disparition, il faut la passer à la casserole. Aujourd'hui, on n'en trouve plus sur les marchés ou dans les restaurants. Le recul de l'aviculture familiale a eu raison de la production de masse. Le confinement décidé l'an dernier à la suite de quelques cas de grippe aviaire a achevé de décourager les derniers éleveurs qui avaient résisté au débarquement des races anglo-américaines après la Seconde guerre mondiale, les Sussex et le New-Hampshire. A leur tour celles-ci ont été laminées par les «hybrides» sélectionnée pour leur chair ou spécialisées dans la ponte. «On a rechercké la productivité au détriment de la biodiversité. Les races anciennes se développent plus lentement, mais elles ont du goût. La poule d'Alsace donne une viande presque brune. Elle sent la noisette», dit Guillaume Baumgartner.
L'accueil des éleveurs susceptibles de relancer la filière de la poule d'Alsace, est très favorable. Le succès des Bretons qui ont réussi à sauver la race « Coucou de Rennes » est un précédent encourageant. L'opération sauvetage ne peut cependant réussir qu'avec des aides publiques pour financer la reproduction et le brassage génétique à Bechanne, afin que le coût des poussins achetés par les éleveurs ne soit pas plombé par les frais de sélection. «Ça peut démarrer rapidement, en tout cas cette année encore. Nous allons établir le cahier des charges des producteurs. Pour qu'elles soient heureuses, les poules doivent être élevées en plein air et choyées», dit Guillaume (…)
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